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Le thon rouge

Généralités sur la biologie du thon rouge (Thunnus thynnus)

(par Jean-jacques RIUTORT, DESS en biologie marine)

Introduction :


Le thon rouge est le plus gros de tous les thonidés. C’est une espèce fascinante, dotée de tous les atouts pour être l’un des prédateurs les plus efficace et les mieux lotis pour garantir sa survie et la pérennité de l’espèce : vitesse de nage avoisinant les 80 km/h grâce à des qualités hydrodynamiques hors du commun (nageoires pectorales et dorsales parfaitement rétractables, corps puissant et fusiforme, ailerons stabilisateurs…), capacités de prédation hors du commun, fécondité exceptionnelle, croissance rapide, et pas ou très peu de prédateurs, hormis les grands requins et les orques.
Cependant, son principal défaut réside dans la qualité de sa chair, tellement prisée par l’Homme que l’espèce est aujourd’hui surexploitée et en voie d’extinction imminente…

Classification :

  • Classe des Actinopterygii
  • Ordre des Perciformes
  • Sous ordre des scombroidei
  • Famille des Scombridae
  • Sous famille des scombrinae (les thonidés)
  • Nom scientifique : Thunnus thynnus

Description :


Caractères distinctifs : Très grande espèce au corps fusiforme de section subcirculaire, très robuste à l’avant ; 34 à 43 branchiospines sur le premier arc branchial. Deux nageoires dorsales séparées seulement par un intervalle étroit, la seconde plus haute que la première ; 8 à 10 pinnules présentes derrière la seconde dorsale et 7 à 9 derrière l’anale ; pectorales très courtes (moins de 23% de la longueur à la fourche et moins de 80% de la longueur de la tête) n’atteignant jamais l’intervalle séparant les dorsales; appendice bifide (processus interpelvien) entre les nageoires pelviennes ; très petites écailles sur le corps, un corselet d’écailles plus grandes bien développé. Pédoncule caudal mince avec une forte carène médiane entre 2 petites carènes latérales situées à la base de la caudale.

thon rouge juvenile
thon rouge stressé

Thons rouges suvéniles. Les stries transversales sur le specimen de droite sont simplement l'expression du stress.

Coloration : dos bleu plus ou moins foncé, flancs et ventre blanc argenté avec des lignes transversales incolores alternant avec des rangées de points incolores (ces derniers dominent chez les individus les plus âgés), visibles seulement sur les spécimens frais ; première dorsale jaune ou bleuâtre, seconde dorsale brun rougeâtre ; anale et pinnules jaunâtres bordées de noir ; carène latérale noire chez les adultes.

Renseignements d'après les fiches d'identification des espèces pour les besoins de la pêche de la F.A.O
(Food and Agriculture Organisation of the United Nations)
Tous droits réservés. Autorisation officielle No. A112/2008

Pour le distinguer des autres thonidés, vous pouvez vous reporter aux déscriptions des thonidés de Méditerranée
 

Mode de vie :


Comme tous les thons, le thon rouge est un grand migrateur. Les juvéniles se déplacent en bancs tandis que les adultes se concentrent pour la reproduction. Le thon rouge se déplace des régions froides où il se nourrit aux régions chaudes où il se reproduit. C’est d’ailleurs à ce moment qu’il s'approche le plus de nos côtes : en automne, il n'est pas rare de voir de très gros spécimens venir tout près du bord et notamment la nuit. Son activité de chasse est aisément repérable soit par le bouillonnement de la surface de l’eau, soit par le lissage de celle-ci quand le banc de thons resserrés s’oppose au clapot de la mer. Contrairement à de nombreux scombridés et thonidés, le thon rouge a des périodes d'activité diurnes et nocturnes. Bien qu’on le repère essentiellement en surface, il évolue à diverses profondeurs et descend fréquemment à des profondeurs allant de 500 à 1000 mètres.

Sa vitesse de nage peut atteindre les 80 Km/h et ses capacités d’accélération sont stupéfiantes, comparables à celles de nos meilleures voitures de sport…

Répartition géographique :


Essentiellement en Atlantique Nord et en Méditerranée :

  • depuis l’équateur au Sud , jusqu’à la Norvège au Nord,
  • du golfe du Mexique à l’ Ouest jusqu’à la mer noire à l’ Est.

Il existe deux stocks bien distincts de thons rouges qui se différencient par leur maturité sexuelle propre et par leur zone de reproduction :

  • le stock Est, à maturité précoce, se reproduit en Méditerranée orientale,
  • le stock Ouest, à maturité plus tardive, se reproduit dans le golfe du Mexique.

Malgré une vraisemblable fidélité à leur zone de ponte, les migrations des thons rouges se font sur l’ensemble de la Méditerranée et de l’Océan Atlantique, c’est pourquoi des individus appartenant à un stock différent peuvent se trouver réunis, notamment en hiver pendant la période d’engraissement. D’ailleurs on estime que chaque année 1 à 8% des thons rouges traversent de l’Atlantique Est à l’ Atlantique Ouest ou inversement. Cependant malgré de nombreuses études (utilisation de marques électroniques), l’incertitude demeure, et certaines voies de migration des thons rouges restent méconnues. On peut penser que le comportement opportuniste de l’espèce sans cesse à la recherche de nourriture, l’instinct de reproduction ainsi que les variations climatiques peuvent amener certains individus à choisir une nouvelle zone de ponte ponctuellement favorable pour retourner plus tard dans les zones de reproduction habituelle garantissant des conditions optimales chaque année.

Biologie :


Comme son nom l'indique sa chair est rouge et son sang contient un taux d'hémoglobine assez important pour un poisson. Son cœur est particulièrement volumineux. C’est un poisson à sang chaud et il nage en permanence afin de maintenir sa température corporelle. Il est doté d’un système de régulation thermique lui permettant également d’élever sa température interne de 10°C par rapport au milieu dans lequel il évolue, ce qui lui permet de fréquenter des eaux dont la température varie de 3 à 30 °C ! Il est le seul animal avec le requin capable de supporter de telles écarts de température tout en maintenant son activité nutritionnelle.

Alimentation :


Essentiellement des poissons, des crustacés et des céphalopodes.
Son alimentation évolue au cours de sa croissance :

  • Stade larvaire : plancton,
  • Juvéniles : poissons, crevettes et calmars,
  • Adultes : sardines, anchois, maquereaux, harengs, lançons, sprat et autres poissons pélagiques.

Ses besoins énergétiques sont énormes et il peut manger par jour jusqu’ à 30% de son propre poids.

Taille, poids maximum (publiés) :


Maximum : longueur à la fourche plus de 3m
Poids maximum : 800 kg (record actuel à la canne : 679 kg à Terre Neuve)

A gauche, le record IGFA du plus gros thon rouge capturé en pêche sportive ; un spécimen de 149 pounds, soit 649 kg, capturé au Canada le 26 Octobre 1979.
A droite, sûrmement le plus gros spécimen capturé en pêche professionnelle (filet) : un spécimen de 845 kg, capturé en 1975.

Longévité :


De 20 à 30 ans.

Relation taille-poids / croissance :


Pour les juvéniles : croissance de 30cm / an.
La croissance longitudinale diminue chez les adultes, tandis que la croissance en poids augmente par rapport aux juvéniles.
Taille moyenne à l’ âge adulte : 3 mètres pour plus de 200 kg, mais les individus de cette taille se font de plus en plus rare à cause de la surpêche…
Taille commune : de 50 à 150cm
Pour information, la poids moyen de capture a été divisé par 3 en 20 ans, passant de près de 150 kg à 50 kg, ce qui donne une idée toute relative de l’abaissement des stocks et de la disparition des gros reproducteurs.

Relation taille-poids / Croissance : elle est très variable d’un individu à l’autre, en raison d’ importantes différences de morphologie. Voici quelques données à titre d’exemple :

4 mois / 30 à 40 cm / 1 kg
1 an / 60 cm/ 4 kg
4 ans / 1m / 25 kg (maturité sexuelle)
8 ans / 2m /100 kg
10 ans / 2m / 150 kg
15 ans / 2m50 / 300 kg
20 ans/ 3m / 400 kg

Maturité sexuelle et fécondité :


Mode de reproduction : sexes séparés
Maturité sexuelle :
Stock Est : 4ans / 1m / 25 kg
Stock Ouest : 8 ans / 2m / 140 kg

Fécondité : entre 5 et 45 millions d’œufs, tous les 2 à 3 ans (il semblerait qu’un même femelle n’ effectue pas une ponte systématique par saison).
Ponte annuelle : mai-juin, dans des eaux de température proche de 24°C.
Zone de ponte connue : Méditerranée (frayère principaledans les Baléares) pour le stock Est et golfe du Mexique pour le stock Ouest.
Malgré un comportement instinctivement grégaire, il semblerait que certains individus adultes quittent parfois leur un groupe pour devenir solitaires, ilsmodifient alors leur comportement migratoire et ne participent plus aux mécanismes de reproduction.

Les techniques de pêche :

La madrague : C’est la plus ancestrale technique de pêche du thon rouge. Elle est originaire d’Italie (la tonnara) et se pratiquait traditionnellement en Méditerranée, puis en Atlantique à l’entrée du détroit de Gibraltar. Cette technique consistait à piéger des bancs de poissons au cours de leurs migrations le long des côtes dans des filets de grandes dimensions, appelés thonaires, calés à même la terre vers le large, puis refermés dans une anse. Cette technique est désormais interdite (notamment à cause de l’aspect choquant de la mise à mort des thons piégés) mais des infractions ont encore été observées récemment en Italie notamment. Cependant, cette pratique seule ne permettait pas d’affaiblir le stock et si l’on s’était cantonné à ce type de pêche, l’espèce proliférerait toujours aujourd'hui.

Les filets dérivants : La pêche des thonidés à l'aide de filets dérivants (ou filets maillants) a été interdite par l'Union européenne à compter du 1er janvier 2002. Il s'agit de filets flottants de très grande longueur (plusieurs kilomètres) dont les mailles ont été élargies pour capturer les espèces de grande taille comme les thons. On leur reproche leur manque de sélectivité (ils prennent aussi bien les dauphins et les tortues marines) et leur trop grande efficacité, dangereuse pour le maintien des ressources.

Les appâts vivants : Cette technique de pêche consiste à capturer et à conserver vivants de petits poissons tels que des sardines ou des anchois, que l'on utilisera comme appâts après avoir repéré un banc de thons. Les thons sont ainsi pêchés à la canne. Le but est d'attirer le thon rouge le plus près du bateau et de l'y maintenir en lançant des sardines ou des anchois vivants. Les pêcheurs mêlent à leurs appâts des hameçons sans ardillon au bout de lignes. Les canneurs peuvent alors ferrer leur proie. Des jets d'eau aspergent la surface de l'eau simulant le frétillement des sardines et dissimulant les pêcheurs. Les thons excités deviennent plus facile à attraper. Cette pratique subsiste encore outre-Atlantique dans les pays qui disposent encore de grandes ressources en appâts vivants.

La senne : C'est l'engin de pêche utilisé majoritairement par les flottilles de thoniers-senneurs. C’est le mode de prélèvement le plus efficace et le plus destructeur pour les espèces pélagiques. Ce sont de navires puissants et rapides de 50 à 150 mètres de long, équipés pour détecter les bancs de thons grâce à de l'électronique d’avant-garde (radar à oiseaux, sonar), ainsi que de plusieurs tourelles d’observation où chaque guetteur est équipé de jumelles surpuissantes. L’action de pêche consiste à utiliser un filet gigantesque, la senne, qui est largué en arc de cercle autour du banc de poisson repéré. Un bateau rapide, le skiff, est mis à l’eau à l’arrière du thonier-senneur et déroule le filet en tentant d’encercler le banc. Pendant ce temps le senneur avance lui aussi en sens inverse. Une fois que les 2 bateaux se sont rejoint, on procède à la fermeture du filet par le bas. Les poissons sont alors hissés à bord et plongés dans les calles réfrigérées du bateau. Un seul coup de senne peut permettre de capturer jusqu'à 200 tonnes de thons. Une senne peut couvrir jusqu’ à 20 hectares !

Jusqu’en 2006, certains thoniers-senneurs étaient équipés d’hélicoptères de repérage. Cette pratique est depuis interdite. Malheureusement le repérage est toujours pratiqué, certains armateurs s’offrant les services d’avions de tourisme pour obtenir le positionnement des compagnies de thons rouges.

Le point le plus délicat est que le développement technologique ainsi que le comportement grégaire du thon et notamment les grands rassemblements précédant la période de reproduction font que les captures de thons rouges n’ont cessé d’augmenter au fil des années. Ceci conjugué à une augmentation exponentielle de la valeur marchande du thon rouge, notamment à cause de l’explosion du marché des sushi, il s’en est suivi un développement déraisonné des flottilles de thoniers-senneurs, toujours plus nombreux, plus gros et plus coûteux. Si les quotas alloués étaient respecté, la pratique de la pêche du thon rouge à la senne ne serait rentable que si laflottille de thoniers-senneurs était divisé par 2 ; et il faudrait la diviser par 4 respecter les quotas préconisés par la communauté scientifique…

Ainsi aujourd’hui les armateurs n’ont d’autres moyens que de poursuivre la pêche du thon rouge, bien au delà des quotas autorisés, afin de continuer à rentabiliser leur investissement.

Vidéo prise par des plongeurs le 14/08/2011 : on y voit du thon rouge congelé jeté à la mer par des professionnels pour éviter le flagrant délit de braconnage...

Les fermes d’embouche : principe apparu à partir de 1997, il s'agit d'engraisser des poissons collectés lors des saisons de pêche pour ensuite les vendre sur le marché japonais. Les thons sont capturés par des thoniers-senneurs puis ils sont installés dans des cages flottantes et nourris avec des poissons fourrages (sardines, maquereaux). Il faut savoir que l'on dénombre 56 fermes d'engraissement légales en Méditerranée, dont le seuil de rentabilité est de 600 tonnes/an, soit 33600 tonnes par an au total, ce qui est bien au delà du quota voté par l' ICCAT, et ceci sans compter les fermes clandestines... En fait, les fermes d'embouche sont au centre d'un vaste trafic, qui en plus de bénéficier de nombreuses subventions ainsi que d'investissements de grands groupes japonais, sont un encouragement à la fraude et à la pêche illégale du thon rouge...
La reproduction en captivité est maîtrisée mais n’est pas pratiquée à grande échelle. Dans les fermes, les thons sont nourris mais ne participent plus à l'activité de reproduction. Par ailleurs cette solution ne peut pas être considérée comme une alternative car les grandes quantités de poissons fourrages prélevés nécessaires à l’engraissement rapide des thons rouges se fait au détriment des autres espèces.

Les palangres dérivants : Technique de pêche pratiquée par les marins-pêcheurs professionnels recherchant essentiellement la capture d’espadons, elle consiste à armer une ligne de plusieurs kilomètres avec des appâts vivants ou morts et maintenues par des flotteurs.

Les captures de thons rouges, assez fréquentes, sont soumises à une déclaration obligatoire.

La ligne trainante : encore appelée traine hauturière, elle est essentiellement pratiquée par les pêcheurs-plaisanciers et ne permet que rarement la capture d’individu dépassant la taille minimale de capture (30 kg ou 115 cm), ceci en raison de la diminution des effectifs et de l’augmentation croissante de la méfiance de l’espèce.

Le broumè : Cette technique de pêche, destinée aux thons rouges adultes, se pratique au mouillage ou à la dérive et consiste à attirer le poisson à l’aide d’une amorce, qui est diffusée dans le courant. On y dispose alors une ou plusieurs lignes armées d’ appâts morts, le plus souvent des sardines. en savoir plus>>

Cette technique, essentiellement pratiquée par les pêcheurs-plaisanciers, a été abandonnée par la plupart d’entre eux car la raréfaction de la ressource a rendu son issue particulièrement incertaine.

Enjeux économiques et surpêche :

Plus que tout autre, le thon rouge a une grande valeur commerciale et intéresse de nombreuses pêcheries internationales. La pêche au thon est une pratique très ancienne qui était encore assez artisanale jusqu'aux années soixante. Avec l’arrivée de technologies modernes, les techniques de pêche ont radicalement évoluées ce qui a rendu plus efficace le recherche du poisson, pour atteindre aujourd'hui un prélèvement proche des 60000 tonnes /an pour la Méditerranée et l’ Atlantique Est (stock Est), pour un quota fixé à 28500 tonnes pour 2008.

Toujours pour le « stock Est », le seuil de capture recommandé pour le renouvellement de l’espèce est estimé à 15000 tonnes /an (seuil de capture recommandé = estimation du prélèvement maximum à respecter pendant 10 ans pour permettre au stock actuel de se reconstituer). Ainsi on estime que le prélèvement annuel est désormais plus de 2 fois supérieur à la capacité de production de la ressource.

Le « stock Ouest », largement sur-pêché ( maximum : 20000 tonnes en 1964) et épuisé depuis de nombreuses années, subit depuis maintenant 30 ans un prélèvement annuel stable d’environ 2500 tonnes / an. En effet un plan de restauration du « stock ouest » est appliqué depuis 1998 par la CICTA ayant pour but d’obtenir d’ici 2018 un retour à l’équilibre.

Actuellement le même sort est promis au thon rouge de la Méditerranée si les mesures préconisées par les comités scientifiques ne sont pas respecter par l’industrie de la pêche...

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